Il ne faut pas renverser le problème :
que des gens plus jeunes que lui aient recherché Debord parce qu’ils l’admiraient
est tout à fait normal. Ce qui par contre l’est moins, c’est que Debord qui
prétendait rejeter les disciples les ait acceptés — contre toute logique. Il
faut alors comprendre pourquoi. Une des réponses est qu’il avait besoin de la « piétaille »
pour s’occuper d’un certain nombre de tâches subalternes.
Ce qui n’empêche qu’il ait pu y avoir de l’amitié
dans ce genre de relation ; mais celle-ci était suborné à l’usage qu’il
pouvait faire de ces « pions » pour mener son propre jeu. À ce propos, voilà ce qu’Alexandre Trudel* écrit :
« Alors que
l’aventure situationniste lui avait fait côtoyer plusieurs esprits brillants,
mais fort différents du sien (Jorn, Constant, Vaneigem, etc.), l’horizon intellectuel
du Debord mémorialiste s’amenuise dramatiquement. C’est aussi en ce sens qu’il
faut interpréter le motif du cercle se refermant sur lui-même qui traverse le
film In girum, et qui revient dans
les textes mémorialistes subséquents. […] Dans son état de perfection absolu,
Debord n’a plus guère besoin des autres : son système libidinal devient autoréférentiel,
et se referme sur lui-même. Ceux qui veulent entrer en dialogue avec ce corps
doivent alors le singer, entrer dans son économie fantasmatique. C’est seulement
avec des doubles de lui-même (c’est-à-dire, des sortes de disciples supérieurs)
que Debord se plait désormais à dialoguer. Une fois libéré des contraintes
qu’impose le collectif, Debord cesse donc de se confronter à l’altérité, à des
opinions ou à des personnalités différentes des siennes. La relation gémellaire
qu’il recherche ne se présente plus que sous la forme d’un monologue à deux
têtes. Malgré son rejet des disciples, Debord ne recherche plus que des “camarades”
qui lui ressemblent en tout point, qui pensent et agissent comme lui, dans un
rapport mimétique aussi accablant que celui qu’il reprochait auparavant aux
pro-situs. »
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