mardi 28 février 2012

Sollers / Debord : Une idylle contrariée / Intermezzo

En attendant le prochain épisode de notre feuilleton, le lecteur pourra patienter en lisant : Le Meilleur du Monde, Correspondance avec Philippe Sollers et quelques autres, à l'adresse suivante :


vendredi 24 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 9

9. La Fête à Venise, spicilège

[…]
Qui êtes vous dans la nouvelle réalité ? Une apparence. Qui étiez-vous avant de naître ? Une inapparence. Qui serez-vous une fois gommé ? Une désapparence. On ne disparaît plus, on désapparaît.
[…]
Mais, comme dans la désapparence réglée d’aujourd’hui, personne ne meurt plus ni ne vit plus réellement (ce serait contrarier la rotation financière), allez donc demander dans l’Entreprise si quelqu’un est irremplaçable. L’Entreprise […] possède, directement ou indirectement, les chaînes de télévisions, les maisons d’édition, les journaux, les radios. Ça tourne. Fin de l’histoire.
[…]
Ah oui, mon nom de guerre... Mon pseudo de fax… Eh bien, Froissart. Comme le chroniqueur médiéval, en changeant simplement Jean en Pierre.
[…]
À l’heure des réseaux et des satellites, il n’ya plus que des réseaux et des satellites, le parasitage règne, le bruit est multiplié par mille de l’intérieur. Plus rien n’est vraiment dit ou entendu, mais tout se répète, s’écoute. Pas de pensée, mais pullulement de signaux, écume d’écume, réduction maniaque et raidie. Comme toujours, il y a des surveillants et des surveillés, mais les surveillés sont devenus surveillants, pourquoi, comment, ils ont leur raisons, excellentes.
[…]
Le cadre, image de l’esclave volontaire moderne, est donc devant la caverne aux trésors. Cadre il est, cadre il est à remplir. Il peut d’abord être défini comme celui qui, le plus souvent d’origine modeste, ne demande qu’à faire la confusion entre original et reproduction. C’est son identité même.
[…]
Un moraliste de la fin du vingtième siècle (siècle dans son ensemble abominable, on s’en souvient peut-être) qui a été, sans nul doute, un des seuls vrais révolutionnaires de son époque, commence un livre ainsi, non sans hauteur : / « Toute ma vie, je n’ai vu que des temps troublés, d’extrêmes déchirements dans la société, et d’immenses destructions ; j’ai pris part à ces troubles. De telles circonstances suffiraient sans doute à empêcher le plus transparent de mes actes ou de mes raisonnements d’être jamais approuvé universellement. Mais en outre plusieurs d’entre eux, je le crois bien, peuvent avoir été mal compris. » / Cela me donne envie de commencer plus modestement des Mémoires par : / « Toute ma vie, j’ai vu des temps heureux sauvés comme par enchantement du néant, des ententes et des complicités inouïes, d’intenses reconstructions ; j’ai pris part à ces fêtes. Une telle étrangeté implique que le plus obscur de mes actes ou de mes raisonnements sera toujours universellement compris. Et en outre, plusieurs d’entre eux, j’en suis certain, ont été très bien compris, spécialement par ceux qui s’y sont opposé de toute leurs forces. »
[…]
Le vrai… Le faux… Le vrai-faux ou le faux-vrai… Tango-valse… Supposez que vous organisiez un attentat terroriste d’État. Lequel ? Circonstances. Il y aura alors un raffinement particulier à vous faire dénoncer par une partie de vous-même, mais de telle façon que cette dénonciation apparaisse comme absurde ou fausse. Vrai-faux-vrai en passant, presque pour le plaisir. Qu’est-ce que la vérité ? a dit une fois quelqu’un à quelqu’un d’autre qui, paraît-il, a cru préférable, à ce moment-là, de se taire. Vrai-vrai-faux… Faux-faux-vrai… la liste peut s’allonger indéfiniment, elle établit d’elle-même la hiérarchie initiatique de ceux qui peuvent la comprendre, elle tend vers une belle expression juridique : non-lieu. Rien n’aura lieu que le milieu du non-lieu.
[…]
Pour que les esclaves modernes acceptent et même revendiquent, leur conditions, il faut les droguer d’images et de racontars en permanence, et qu’ils n’aient pas la plus petite distance, le moindre recul par rapport à leur propre situation. Sauf pour s’effrayer d’être à ce point gratuits et serviles, d’où soumission renouvelée et renforcée d’angoisse. Ça marche ? Oui. On y est arrivé.
[…]
– En somme, vous faites du pillage à l’envers ? / – Si vous voulez. / – Ce rassemblement, ces citations, ces collages : le roman comme encyclopédie et arche de Noé ? Après vous le déluge ? / – Voilà. En clair. Les membres épars d’Osiris. Avec phallus. On transmet à l’avenir improbable. S’il y a quelqu’un, il y aura peut-être quelqu’un.
[…]

Voilà. Ceux à qui ces quelques extraits (bien choisis) auraient donné le goût d’en savoir plus sur cette histoire vénissienne pourront lire le reste (sur lequel je ne dirai rien parce que je ne l’ai pas lu).

Prochainement, nous nous attaquerons au Secret (de Polichinelle).


(À suivre)

jeudi 23 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 8

8. Imposture, mimétisme et vampirisme : La Fête à Venise

« Il paraît clair, en lisant sa risible Fête à Venise, qu’il veut insinuer qu’il a participé jadis à la Conférence de Venise : qu’il a figuré de sa personne au nombre des mythiques “situ clandestins”. », écrit Debord à Annie Le Brun. Voyons ce qu’il en est.

Au début du livre, le narrateur écrit : « J’ai changé. L’expression est faible, mais quelle autre employer ? Je ne vais quand même pas écrire un récit fantastique, style : personne ne se doute que j’ai pris la place de l’autre, de celui qui m’a précédé sous cette forme, il est sorti et je suis entré, la substitution est passée comme une lettre à la poste. Ce ne serait pourtant pas un mauvais sujet : imaginez un acteur confronté à mille détails quotidiens, aux proches, obligé d’attendre, d’observer, de se reprendre — “ah oui, j’avais oublié” —, paraissant de plus en plus égaré, atteint, tumeur, gâtisme, alors que c’est le contraire (il s’habitue, il va mieux). On se regarde dès qu’il a le dos tourné, air entendu, accablement des épaules. Le même, l’autre. Le même dissimulant qu’il est habité par l’autre, mais lequel, depuis quand, à partir de quoi, dans quel but ? Maladie ou ruse ? Son vieux goût maniaque du secret, par principe, pour rien ? Pourquoi le croire davantage aujourd’hui qu’hier ou avant-hier ? En réalité personne — ni père, ni mère, ni frère, ni sœurs, ni fonctionnaires, ni femmes, ni amis, ni enfants — ne remarquerait le remplacement, et la découverte serait là, dérisoire, énorme. » Il est trop fort Philippe !

J’épargnerai au lecteur une relation détaillée du livre. Je me contenterai de quelques (bas) morceaux choisis.

Mais tout d’abord, la quatrième de couverture qui donne le ton : « Que fait au juste Pierre Froissart, écrivains clandestin, l’été, dans un petit palais de Venise ? Pourquoi est-il accompagné de cette jeune physicienne américaine, Luz, avec laquelle il a l’air de si bien s’entendre ? Activités illégales ? Drogue ? Trafic d’œuvres d’art ? Mais quel est alors le réseau international qui l’emploie, lui et certains de ses anciens amis ? Et que représente au fond cette toile de Watteau qu’il doit acheminer vers son but secret ; cette peinture célèbre et recherchée qui donne son nom au roman et l’entraîne peu à peu, comme d’elle-même, dans une révélation de l’Histoire ? »

Get the picture ?


On sait que Sollers était persuadé avoir écrit , avec sa Fête à Venise, le roman du Spectacle ; c’est-à-dire l’équivalent romanesque de La Société du spectacle, excusez du peu. Debord trouvait le livre « risible » — sans évidemment l’avoir lu : d’ailleurs on ne lit pas les romans de Sollers. La prose sollerssienne se parcourt : c’est de la littérature de passage. Voyons néanmoins ce que l’on peut retenir, en passant, des reliefs de cette pauvre Fête.


(À suivre)

Breaking news : Voyer (entre)vu par Christophe Bourseiller


Voilà, c’est fait. Christophe Bourseiller a pondu la deuxième mouture de sa biographie de Debord. Je lui avais adressé, à titre d’information, la transcription faite par Yves Tenret de l’enregistrement de la Conférence (historique !) de l’ I.P.C. À cette occasion, il m’avait dit préparer le livre qui paraît aujourd’hui ; je l’avais alors fortement engagé à y mettre Voyer à la place qu’il mérite. N’oublions pas, comme le signale la quatrième de couverture, que : « Le livre [le précédent] a été publié en1999. », et que le nouveau est « une importante réédition, corrigée par les témoins et augmentée ». Voyons ce qu’il en est.

En ce qui concerne Voyer. L’index référence six occurrences de son nom. Deux sont des références au Raspaud / Voyer : L’Internationale situationniste, Protagonistes, Chronologie ; etc. Dans une autre, il est cité parmi d’autres noms. Une concerne la démarche de Voyer auprès de Champ Libre, à l’initiative de Debord, en vue de trouver un producteur pour le Spectacle : « Au début de l’année 1971, il [Debord] prend contact d’un manière fort inattendue. Jean-Pierre Voyer se rend un beau jour dans les locaux de la rue des Beaux-Arts. Ayant momentanément troqué ses jeans pour un complet-veston du plus bel effet, il s’y présente comme le “producteur de Guy Debord” : ce dernier souhaite rencontrer Gérard Lebovici, dans le dessein de transposer au cinéma La Société du spectacle. » On fera remarquer que Voyer ne pouvait pas se présenter comme le « producteur de Guy Debord » puisqu’il venait précisément chercher un producteur pour Debord. Passons. La seconde signale la parution chez Champ Libre, en 1976, d’un « ultime ouvrage » de Voyer : Une enquête sur la nature et les causes de la misère des gens et signale son éloignement. Mais rien sur les raisons de cet « éloignement ». La dernière et la plus intéressante concerne la Conférence de l’I.P.C. : « En 1983 se déroule par ailleurs un événement insolite. À l’initiative de Jean-Pierre Voyer, une conférence se réunit à paris, dans le but de fonder une troisième internationale situationniste. Au nombre des participants figurent Rafael Pallais, Lopi, Yves Le manach, Yves tenret, Pirre Brée, ou encore Frederic Pajack. La nouvelle Internationale ne voit finalement pas le jour… »

C’est peu ; mais c’est toujours ça. Forza ! Christophe ; il ne faut pas te laisser intimider par « la famille ». Gageons que dans une prochaine réédition, d’ici quelques années, tu auras fait quelques pas de plus dans la direction d’une histoire véritable de l’I.S. où tous les protagonistes auront enfin retrouvé leur place auprès d’un Debord redescendu sur terre.

mercredi 22 février 2012

Une contribution au Portrait de Jean-Pierre Voyer

Notes diverses pour un : « Voyer par moi-même » 

Par Yves Tenret


Il n’est pas Celte du tout, et encore moins Flamand. C’est un grand dadais de guerrier blond qui veut se mêler de penser alors que la seule chose qu’il aime, c’est cogner !

Il est nostalgique d’une forme étriquée de civilisation bourgeoise dans laquelle il s’épanouissait en toute sécurité. Mais le sait-il ? Honnête et grave, il représente les vertus provinciales et la bourgeoisie conservatrice. C’est le Sully Prud’homme de l’ultra-gauche, l’homme du « bon sens ». Il voit le monde à travers le Droit ; au fond de lui, il aime l’ordre, la raison, la logique pénale, le contrat que l’on respecte, l’idéologie juridique.

En même temps, ce lunatique est un quinteux, difficile à gouverner, en révolte contre l’autorité quelle qu’elle soit, rouspéteur qui parle tout seul, anarchique, tout en saccades, un révolutionnaire en peau de lapin, victime de son orgueil et jeté dans une querelle sans fin avec le monde. Les mots sont sa seule religion. Il ne peut rien traduire de non abstrait, de naissant, de germant, de changeant ; il ne comprend ni la cause, ni le mouvement, ni la force, ni le devenir. L’artificiel et le conventionnel lui suffisent.

Comment quelqu’un qui a une culture 100% livresque pourrait-il comprendre que l’échange est liberté et l’usage, contrainte. À des œillères parce que le contact direct avec ses semblables lui manque. Mais Machin a écrit. Mais Truc a dit. Fada des dicos, il prend le mot pour la chose, l’étiquette pour le contenu.

Il trouve clair l’incompréhensible et abhorre ce qui est profond. Féru de politique, c’est moins une intelligence qu’un tempérament ; peu commode, illogique, incohérent, têtu, boudeur, étriqué, anti ceci et anti cela. La pensée reste chez lui hachée, fragmentaire, sans haleine. Jugements abrupts, généralisations hâtives, toujours sans nuances, as des fausses symétries et des oppositions artificielles. Chez ce matamore pompeux et guindé, l’action n’est que motif à discourir. Il recherche l’effet, n’a qu’une idée et la délaie avec une insupportable prolixité ; se vautre dans le fatras prétentieux de l’empirisme le plus vulgaire, pataugeant dans sa théodicée chimérique.

Handicapé de l’empathie, que peut-il comprendre ? Tendu, anguleux et cassant, totalement inapte à l’échange, à la conversation. Autrui lui est interdit parce qu’on ne peut pas intégrer autrui à des activités compulsives. Ce que ses filets lui ramènent, ce sont encore et toujours des esclaves. Et il conceptualise en partant de là sa pauvre petite existence. Il n’aime pas les gens, le peuple qu’il prétend défendre (il le hait, le méprise, en a honte et peur). Il n’aime personne et prétend œuvrer pour le bien de tous. Il n’aime pas la vie ; pour lui, c’est une maladie dont il faut guérir.

Est-ce cela qui en fait le grand humoriste qu’il est ? Un vrai bon petit Swift ! Spirituel mais superficiel, pensée courte, sans profondeur. Pétrifié dans ses abstractions, il ne pénètre jamais dans le sanctuaire intime de la vie, reste en dehors des choses et même sans doute en dehors de lui-même. Manque de fantaisie, d’audace, d’élan. Confond provocation et pertinence. Inculture qui s’ignore, superficialité positiviste, aucune profondeur dans les développements éthiques. Son critérium est la richesse matérielle et non la beauté éthique.

Vert-de-gris, sent le laboratoire, grince comme une poulie, est mécanique, chimique et technologique. Il se déclare contre la part animal de l’homme parce que cette part, il ne sait qu’en faire. Cet anti-utilitariste crache sur tout ce qui est réellement beau. Anti naturel, rigoureux, sec, âpre, ne possède ni sérénité, ni charme, ni humanité, ni noblesse, ni grâce, ni goût. C’est un laborieux ! Ce grand crétin prend l’apparence pour la chose, la forme pour la substance, la loi pour l’essence. Il met le mal hors de l’homme ! Faiseur, hâbleur médiocre et violent, pratique un charlatanisme tapageur.

Répugne fortement à ce qui est obscur, aux énigmes, aux extases, au mysticisme, aux puissances ténébreuses, aux côtés nocturnes de la conscience, aux mystères, aux rêves, bref à tout ce qui fait le charme de nos vies.


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Ces Notes ont été publiées initialement à l’adresse suivante :

mardi 21 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 7

7. L’évangile selon Philippe

Mais, malgré tout, le fait que Sollers ait pu réaliser quelque chose d’aussi improbable que : Cette étrange guerre et ce avec la bénédiction de « la famille » a constitué pour lui une sorte de reconnaissance qui n’a pu que le conforter dans la certitude intime qu’il avait d’être à sa manière lui aussi un membre (dispersé) de cette famille — un « membre de loin », si l’on veut, qui ne serais jamais accueilli à la table commune pour partager le pain et le vin ; mais un « frère » tout de même de l’Église gnostique dont faisait secrètement partie Debord. « Le gnostique Debord » : c’est une révélation qu’à eu Sollers sans doute en lisant les Commentaires sur la société du spectacle où il a dû être frappé par la curieuse similitude qu’il pouvait y avoir entre « l’écriture voilée »* revendiquée par Debord et celle l’Évangile selon Philippe, qu’il aime à citer depuis, non sans malice, comme une preuve (elle aussi voilée) de sa perspicacité et comme un indice pour les happy few de son appartenance à ladite Église. Amen.

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* Jean-Marc Mandosio, quant à lui, parle de « dispersion de la science » en référence aux écrits alchimiques. Mais, en l’occurrence, il semble bien que ce soit Philippe qui ait vu juste en parlant de gnosticisme à propos du Debord des Commentaires. En effet, dans la Notice à l’Évangile selon Philippe, Louis Painchaud écrit : « Le caractère allusif de l’enseignement contenu dans l’écrit avait sans doute une fonction précise, celle d’exiger  de ses destinataires un travail d’interprétation afin d’en découvrir le sens caché. À cet égard c’est aux Stromates de Clément d’Alexandrie qu’il faut le comparer […]. En effet, dans les Stromates Clément pratique une écriture voilée, destinée à n’être comprise que par ceux qui en sont dignes. […] Ainsi, le programme annoncé par Clément d’Alexandrie au début de ses Stromates pourrait tout aussi bien s’appliquer à l’Évangile selon Philippe : “Il y a aussi des choses que mon livre n’indiquera que par allusion ; il insistera sur les unes, il mentionnera seulement les autres, il tâchera de parler sans avoir l’air, de montrer sous le voile, de signifier sans mot dire.” […] » (Écrits gnostiques, Pléiade) Étonnant, non ? Le lecteur comparera avec le début des Commentaires de Debord.


(À suivre)